LE JOUR OU SEBASTIEN RENCONTRA LE DIEU OCEAN
Il était une fois, au cœur du pays viennois, à Saint Romain en Gal, un petit club
d’aviron, bien caché sous le pont de l’autoroute, à côté d’une grande île sauvage
dont peu de gens soupçonnaient l’existence. A côté de ce club coulait un fleuve
majestueux, aux couleurs changeantes, tantôt lisse comme un miroir, tantôt
tumultueux comme un ruisseau de montagne après un orage et, parfois tellement
brillant, que tous les monuments de ses berges venaient se refléter à sa surface.
On y accédait par de petits ponts qui passaient sous la voie de chemin de fer, et
sa vie était rythmée par le bruit des voitures et camions qui partaient ou
revenaient de la lointaine Provence, par le bruit des locomotives qui tiraient
leurs wagons et par la vue des péniches descendant ou remontant le fleuve au
gré de leur chargement. On aurait pu croire qu’il était au centre du monde…..
L’île Barlet, à côté du club, était un endroit resté sauvage, inaccessible aux
voitures, bordé d’un côté par le Rhône et de l’autre par la Lône, un bras du
Fleuve.
Cet endroit était un véritable coin de paradis et un refuge pour de nombreux
canards, cygnes, et même une oie sauvage qui avait décidé de poser ses bagages
au milieu de la Lône. Chaque printemps, le bassin formé par la Lône se
peuplait des portées bruyantes de canards et de cygnes tout juste sortis de
leur coquilles.
Le mercredi et le samedi, les copains du club aimaient à se retrouver ensemble
pour aller naviguer dans ce cadre idyllique.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que le lit du fleuve était occupé par une créature
venue du fond des âges et qui avait quitté la mer Méditerranée pour venir
s’installer au milieu des vestiges du temps passé. Cette créature, à visage
presque humain, portait une barbe d’algues, une chevelure immense garnie de
pinces de crabes et n’était constituée que d’eau. Elle s’appelait le Dieu Océan et
tout le monde ignorait son existence, même les nombreux pêcheurs qui n’avaient
jamais soupçonné la présence d’une telle créature dans le lit du fleuve.
Un jour, par une belle journée de printemps, tous les jeunes s’étaient
rassemblés pour participer à une compétition de skiff. Parmi eux, un jeune
garçon de 14 ans nommé Sébastien s’apprêtait à disputer son premier
championnat. C’était un jeune adolescent timide et renfermé qui parlait peu mais
qui avait très envie de devenir un champion. En secret, il espérait qu’une
victoire pour le club lui permettrait d’avoir plein d’amis et de devenir un vrai
héros pour ses copains. Il avait beaucoup travaillé pour y arriver. Mais au fur et à
mesure que l’heure de se battre approchait, il se sentait de plus en plus mal et
avait peur de tout rater et de décevoir l’équipe qui comptait sur lui.
Puis son tour arriva. Lorsqu’il fut appelé, il sentit ses jambes trembler et son
esprit se brouiller. Ses copains, voyant son désarroi, l’encouragèrent en lui
disant que tout irait bien et, tout de suite, il se sentit un peu mieux.
Le départ fut donné quelques minutes après. Malheureusement, l’angoisse des
instants passés se fit vite sentir sur la force de ses jambes et, malgré des efforts
redoublés, il n’arrivait pas à revenir à la hauteur des autres bateaux.
C’est là qu’une chose extraordinaire se produisit. Il entendit soudain une voix lui
parler. Elle lui disait : « tu as la force en toi, tu vas gagner, tes ancêtres sont nés
près de ce fleuve qui te portera à la victoire ». Puis soudain, il vit une silhouette
sous l’eau qui ressemblait à un vieillard et qui lui souriait. La vision se déplaçait
aussi vite qu’un dauphin, le long du skiff. Curieusement, Sébastien ne fut pas
effrayé car il avait déjà vu cette créature en rêve. Tout à coup la vision passa
sous le skiff et Sébastien sentit une grosse accélération qui propulsait son
bateau au-delà de ses espérances. Il commença à doubler un premier concurrent,
puis deux, puis trois et se retrouva en tête. Il vit à nouveau le visage
apparaître et il entendit : « la victoire est à toi, si tu la veux vraiment ».
Sébastien rassembla ses dernières forces et redoubla d’effort. Les cris de la
foule, sur les berges, étaient un formidable stimulant. Il sentit tous ses muscles
prendre feu mais, pour rien au monde, il n’était prêt à relâcher son effort.
Lorsqu’il coupa la ligne, il s’effondra en avant, dans un état d’épuisement total.
Lorsque ses copains vinrent à sa rencontre, il réalisa qu’il avait vraiment
gagné !
Ce fut une explosion de joie. Il n’osa jamais raconter son histoire et, aujourd’hui
encore, Sébastien se demande s’il n’a pas rêvé...